Les questions de la réalité

Pour comprendre le sens de ce texte il est conseillé d'avoir lu
- la théorie de la connaissance
- la trame

Sens de la Réalité

Existence de la réalité
Notre recherche consiste maintenant à déterminer ce qui est réel et éventuellement ce qu’est la réalité.
Le bon sens me dit avec évidence que les choses que je touche que je manipule, que je voie, que je côtoie sont bien réelles. La question de la réalité des choses pourrait ainsi être vite résolue par le bon sens. La définition de la réalité serait tout simplement l’existence manifeste hors de nous. Mais comme toujours la connaissance, la logique viennent déranger et construire par étapes les conclusions du bon sens. Voyons comment peut venir cette remise en cause ou ces questions.

Plusieurs arguments pertinents peuvent appuyer ce doute ou ces questions :
Vu nos connaissances de la nature, vu la précision des objets et de l’espace, il est plus que peu probable que nous percevions un même objet matériel, serait-ce même deux fois de suite, de façon identique (sans s'être même interrogé sur ce que signifie une fois, car il est difficile de percevoir le temps comme fixe). Ainsi, toute perception est sans cesse mouvante et sans cesse différente. Lorsque nous observons un objet, à chaque « instant » nous ne faisons que voir un aspect très particulier de l’objet. Comment pouvons-nous penser dans ce cas que nous percevons la réalité ? Manifestement, nous ne percevons pas la réalité, mais un très petit aspect de la réalité.
Même si nous pourrions penser que notre idée de la réalité est composée de l’ensemble de tout ce que nous avons perçu, il est assez évident que nous ne sommes absolument pas capable d’avoir à l’esprit tout ce que nous avons perçu, n’en témoigne que notre incapacité à se remémorer une image précise. Et quand bien même on y arriverait, nous serions encore « infiniment loin » de la réalité complète de ce que nous avons perçus. Il faut donc admettre que notre idée de la réalité d’une chose n’est pas dûe à notre seule perception de cette chose.
C’est sans parler des erreurs de perceptions qui sont plus fréquentes qu’on ne le croit. Car bien naturellement, on ne voit pas la plupart de nos erreurs de perception, puisque rien ne peut nous le faire voir. En témoignent les nombreuses expériences qui montrent que notre psychisme influence profondément notre perception : il recompose tout seul des morceaux manquants, il invente allègrement des parties inexistentes. Il est soumi à l’influence très forte du contexte. Ce fait est frappant pour ceux qui veulent approfondir la chose. A elles seule, les populaires illusions d’optique en donnent une idée marquante. Mais cette réalité est beaucoup plus vaste et quotidienne qu’on se le représente, c’est un principe permanent de notre psychisme que de transformer la réalité pour l’accommoder aux habitudes.
Faut-il alors penser qu’on ne peut même plus faire confiance à notre perception ? Il est hélas important de comprendre qu’on ne peut pas lui faire confiance en tout, et que certaines situations sont symptomatiques de mauvaises perceptions.
Si notre perception peut nous tromper sur de petites choses, comment lui vouer confiance sur la réalité absolue des choses dont elle ne témoigne qu’en partie.
De ce fait, cette réalité des choses que nous ne percevons jamais, comment pourrions nous y croire.

Analyse du bon sens
Il s’agit alors de revenir au bon sens commun pour retrouver les bases du concept général de réalité. Je vais donc commencer par une simple  question logique : Est-ce que l’objet qui est devant moi existe ? Si la démarche paraît un peu insensée en soi - et peut-être l’est-elle au départ - elle acquiert rapidement une certaine pertinence. En effet, qu’est-ce qui peut m’affirmer la réalité de cet objet ? Je pose la question de façon anodine. Mais au delà de l’évidence, la réponse n’est pas facile. On peut alors repousser le problème et se poser la question suivante : quelle est l’origine de cette évidence ? Là aussi la question n’est pas évidente, elle peut-être même encore moins évidente car elle sous-entend une certaine compréhension du bon sens.
Essayons de répondre rapidement à la deuxième question par quelques considérations intuitives, et soumettons ces considérations non à l’évidence mais à la logique :
le fait de les voir, de les toucher est une preuve de leur existence. Mais l’objection logique à cette évidence est la suivante : toute perception qu’elle soit visuelle, auditive, tactile, etc.. n’est jamais produite que par les sens. Or, les sens sont une frontière entre nous et cette prétendue réalité. Comment donc est-il possible d’être certain de la réalité extérieure à ces sens ? Logiquement, notre pensée ne peut pas en être absolument certaine, puisqu’elle n’a jamais accès à la réalité. Cet argument est d’ailleurs l’argument fondamental.
le fait que je puisse les toucher, interagir avec eux est un argument de leur existence. Mon action réciproque sur les objets est une manifestaton de leur réalité par la conformité à mes habitudes. Si cette interaction suppose une action réciproque et donc un échange d’information, on pourrait penser qu’une réalité est nécessaire à l’interaction et ainsi que la réalité de l’objet est assurée. Mais rien n'affirme que cet échange soit réel. En effet, sans compter l’accumulation de preuves sur les possibilités d’erreurs de nos perceptions, la question n’est pas tant de savoir si rien n'existe et si notre pensée montre des choses qui ne sont pas, que de savoir si ce que nous percevons est conforme à ce qui est à l’extérieur. Cela nous conduit à la profonde interrogation : que signifie « exister » pour ces choses.
le déterminisme du monde : le fait que les choses semblent systématiquement se conformer à ce que nous pensons ou attendons, nous donne une idée très précise de la matière, idée construite par l’habitude. Mais est-ce suffisant pour nous affirmer leur existence, et surtout pour en préciser la nature ? Nous n’avons toujours abordé qu’une impression et jamais une réalité.
le fait de la cohérence de l’ensemble : tout ce que nous voyons confirme plus ou moins l’assentiment général. Toute notre vie forme un tout stable dans le domaine de ce que nous percevons : c’est un argument de réalité extérieure. Mais cet argument ne contrecarre pas l'argument que la réalité peut-être toute différente de ce que nous percevons. Il est même possible que ce que nous pensons être réalité n’existe pas. En d’autre terme, les mots existence, réalité comme nous les percevons sont peut-être hors de propos.

Nous venons de voir que tous ces arguments élémentaires reposent sur des impressions, sur des sentiments, et même a rétorquer que nous-mêmes touchons vraiment ce que nous appelons réalité. Si je dis que ma main touche et saisi le crayon, c’est supposé déjà la réalité de mon corps et de l’extérieur. Rien ne nous affirme logiquement que tout cela est conforme et que ce n’est pas seulement un assentiment général (de moi seul et éventuellement des autres si je peux me fier à ce que je crois des autres). Il semble logiquement impossible de montrer la réalité extérieure par ce fait fondamental que nous sommes prisonniers à l’intérieur de quelque chose qui pourrait être appelé notre esprit. Cette chose en nous qui raisonne, qui ressent, qui perçoit, semble liée à la réalité par notre corps, mais rien ne nous l’atteste par la logique. Nous sommes en droit de nous poser logiquement la question : pourquoi ces choses qui nous semblent réelles sont-elle vraiment réelles comme nous l’imaginons ? Je constate que mon esprit est davantage dans les choses hors de lui que dans lui-même. Comme si sans cesse, je m’oubliais moi-même. Pourquoi la réalité serait-elle située dans ce ‘hors de moi-même’ qui n’est jamais que mes pensées. Pourquoi ce film qui me fait m’oublier serait-il composé de réalité ? Pourtant, il me semble que mon esprit répond que cette existence ne pose aucun problème. Alors pourquoi ce problème insoluble de logique ? Comment le concilier avec cette impression d’assurance intérieure ?

Nous voyons à la fin de ce petit développement qu’il est préférable d’étudier davantage le problème de la réalité , il s’agirait peut-être de préciser ce que nous définissons et ce que nous cherchons par « réalité des choses ».Qu’est-ce qui nous permet de supposer logiquement que des choses existent bien hors de nous ?
Il semble clair qu’il n’est pas sensé de limiter ce que nous appelons « la réalité des choses » uniquement à notre perception de ces choses. Il existe une réalité qui dépasse notre perception et que notre esprit peut malgré tout comprendre.
Quelle est la nature précise et logique de cette réalité ? Nous avons enfin abouti à la question philosophique de la réalité. Elle n’est pas seulement une question logique, elle est aussi une question de bon sens. Qu’est-ce que cette réalité qui semble être perçue intérieurement, mais pas extérieurement ? Et quel est le rapport entre ma perception et la réalité extérieure ?
Jusqu’où s’étend la réalité ? Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quelle est la nature nécessaire pour qu’une chose soit qualifiée de réelle ? Par exemple, peut-on dire que les lois de la nature sont des réalités, que les catégories, les généralités sont des réalités, que les concepts et enfin que les pensées sont des réalités ? La réalité des pensées semble difficile à accepter car plusieurs choses les opposent à l’idée naturelle de notre réalité : elles sont sujettes à l’erreur, à l’imagination, à la fabulation.
Si quelque chose semble bien être opposé à l’idée de réalité, c’est bien nos idées ou plutôt ce qui n’est pas juste dans nos idées. Mais alors où placer la frontière entre la réalité et … et je ne sais pas trop quoi ; la subjectivité ? l’erreur ? Le néant ? etc…
Beaucoup de concepts différents semblent s’opposer à la réalité. Il faudrait les définir. Telle est la démarche de la philosophie. Mais je ne désire pas trop m’y avancer pour l’instant.

Autres questions
Voici d’autres questions qui se posent au sujet de la réalité. Une question qui possède une certaine résonance en philosophie est la suivante : l’absolu possède-t-il une certaine réalité ?
Ou en retournant la question : la réalité est-elle un absolu ?
De façon à peine plus prosaïque, on peut se demander quelle limite fixer entre l’imagination et la réalité ? Suivant le point de vue que l’on a sur la réalité, cette question est plus ou moins difficile à résoudre. Si la réalité est extérieure, clarté est faite, mais si l’on parle d’une réalité intérieure, c’est plus difficile. Viens alors une nouvelle question : quelle relation existe-t-il entre la réalité intérieure et la réalité extérieure.
Quel rapport existe-t-il entre la réalité et la vérité, entre la réalité et l’erreur. Ce débat à lui seul pourrait-être très long.
La réalité doit-elle être acceptée comme un fait de base, ou alors faut-il la démontrer ? Est-ce un des présupposé inexplicables qu’il faut accepter comme tel ? Ou faut-il le ramener par démonstration logique à d’autres éléments de base ? Lesquels alors ?
La réalité n’est-elle que subie comme privation ? On peut constater que c’est toujours un obstacle qui amène la réalité. Mais est-ce que cette notion restrictive est satisfaisante ?
La réalité n’est-elle que dans l’immédiat ? On peut penser que la seule réalité est la perception primitive, avant même qu’elle ait été détournée par la psychologie. Ou encore : la réalité serait-elle ce que nous vivons intérieurement à l’instant ? Elle est donc réalité à cet instant en nous quelle qu’elle soit. La réalité serait donc la pensée qui nous traverse.
Faut-il chercher la réalité ultime dans la perception profonde de notre être dans notre conscience, dans l’état ultime (le plus profond et le plus basique) de notre conscience. C’est, dans son propre contexte, la démarche de la phénoménologie.

Témoin à charge : le rêve
En quoi le rêve quand il semble réel n’est pourtant pas réalité ? La réponse est assez simple : c’est le fait que tout se passe dans l’esprit, et que les événements soient clairement inaccomplis à notre éveil.
Mais dans ce que nous appelons réalité, tout ne se passe-t-il pas aussi « uniquement dans notre tête », alors comment croire à sa supériorité, c'est-à-dire à sa réalité, qui est manifestement infirmée dans le rêve ? Même si dans la réalité, il se peut qu’on perçoive un sentiment de réalité, de lucidité supérieure à celui perçu dans le rêve, il se trouve que, fréquemment dans le rêve, on ne doute pas de la réalité que l’on vit (alors qu’on le fait parfois dans la réalité...).

Remise en cause trop profonde
La remise en cause de la réalité peut être très profonde. Dans cet ordre d’idée qui consiste à remettre en cause nos plus grandes convictions ou les plus grande évidences de la réalité, on peut envisager beaucoup de scénarii, (qui ferait une bonne base pour des films fantastiques) :

Remise en cause de la permanence 
On peut très bien imaginer que notre vie entière est un rêve qui se tisse et que ce rêve sera infirmé à notre réveil. Réveil qui peut se produire de plusieurs manières :
en nous-même dans une autre situation, plus ou moins éloignée de celle que nous vivons.
On peut aussi se réveiller en quelqu’un de très différent.
Qui pourrait montrer l’absurdité logique d’une telle suposision ? Evidemment pour en tirer un film, il faudrait afficher successivement les différentes réalités. Et pour que ce soit plaisant, il faudrait envisager une interaction entre les différentes réalités ; ce qui conduira à une réalité logiquement absurde. Mais on peut raffiner le modèle pour diminuer l’effet incontournable de l’absurdité.

Remise en cause de l’altérité
On peut très bien imaginer que les autres ne sont pas ce qu’ils semblent être. On peut par exemple supposer qu’il simulent entièrement leur comportement et qu’il sont des êtres d’une autre nature, plus élevée.
On peut aussi penser qu’ils n’existent pas en tant qu’individu. Il ne sont que des robots réagissant de façon automatique comme le reste de toute existence. Dans ce cas moi seul possèderait la pensée sémantique de ce que je vois, eux ne seraient que des machines qui ne penseraient pas.
A l’inverse, on pourrait au contraire penser que toute matière possède cette conscience. Tout le monde, mais aussi toute partie, toute identité du monde(table, bras, molécule, onde…) pourraient possèder cette pensée sémantique. Chacune de ces « choses » verrait sur le cinéma de ses pensées ce qu’il est en train de vivre. Ainsi j’aurais une place privilégiée dans ma liberté d’action, car je suis au sommet d’une identité bien unifiée, et abondemment pourvue.
Dans ce même sens, on peut aussi penser que le monde entier n’existe pas et que seule ma pensée existe. Ici, c’est toute la réalité que l’on a nié. Beaucoup de prolongemments sont possibles :

Remise en cause de la réalité 
On pourrait aussi penser que notre vie n’est en fait que la perception d’un autre dans une sorte cinéma hyper-réaliste, (par un autre, il faut comprendre un « autre-nous-même »). Ainsi, notre vie pourrait-être la vie de n’importe quel autre qui serait en train de vivre notre vie alors que lui-même existe dans une réalité tout autre, et dans ce dernier mot 'autre', on peut laisser libre cours à une grande liberté. On peut imaginer des différences en tout point ; le temps et l’espace pourraient même être considérés comme une illusion dans cette conception.

Remise en cause de notre individualité
On peut aussi imaginer que la totalité des hommes soit le rêve (ou le cinéma réaliste) d’un unique individu qui a la faculté d’incarner une pensée multiple, plus ou moins dissociée, car de toute évidence, nous n’avons pas la pensée de tous en nous. Pour la nature de cet être et de son cadre d’existence, nous pouvons à nouveau laisser libre cours à notre imagination comme précédemment La nouveauté de cet exemple est le fait de nier notre individualité, ce qui est encore plus extravagant. Dans ce même sens, on peut aussi penser à l’existence de plusieurs 'moi' , C'est l’idée qu'il peut y avoir plusieurs spectateurs dans mon cinéma : l'idée qu’il existe d’autres dans le même corps que moi, d’autres qui soient légèrement différents sur des points qui n’engagent pas la matérialité, de sorte que nous sommes plusieurs à vivre ce 'moi'. C’est un peu désagréable, on se sent à l’étroit à plusieurs dans une même veste, mais on peut s'y faire.

Remise en cause de notre existence
Au lieu d’imaginer la vie comme un cinéma où le spéctateur serait « à l'intérieur », on peut imaginer d’autres variantes : celle d’un jeu vidéo réaliste. Notre impression de réalité et de liberté ne serait qu’une particularité intéressante de ce jeu vidéo dont une autre serait d'être aux commandes. Cela signifie que personne n’est en train de vivre ce que nous vivons, nous ne sommes qu’une animation étant le jouet de quelqu’un d’autre. Personne n’incarne notre vécu ; ce vécu est un sujet de spectacle qui n’a d'autre sens que le loisir (ou encore autre chose que nous ne saurions définir car d’une réalité inaccessible).
Remise en cause de notre liberté 
Le même scénario que précédemment, mais au lieu d’un jeu vidéo, on imagine une projection cinéma. La différence avec le cinéma précédent serait que personne n’incarne notre vécu. Ainsi, notre existence est une illusion, bien faite, mais rien de plus. Il n'y a pas de commande, c'est juste un spectacle.

Remise en cause de tout sens 
On peut raffiner le scénario précédent en ajoutant que personne ne le regarde…
Et le dernier raffinement consiste à dire qu’il n’y a même pas de film : l'illusion elle-même n’existerait même pas, mais là il faut commencer sérieusement à se tordre les méninges pour laisser passer cela, car il semble bien qu'au minimum il y a quand même une illusion.
Ces dernières positions sont des philosophies qui ont trouvé leur pied-à-terre. Certaines philosophie nie la réalité. Il me semble que, d'une certaine façon, cela est assez normal. Nier la réalité n’est pas un processus impossible à concilier avec la vie, il se construit naturellement à partir de l’expérience, et ceux qui ont l’esprit à « généraliser », transpose facilement la négation à l’ensemble de la réalité. Ensuite d'un point de vue logique, il est beaucoup plus naturel de tout nier que de nier une partie, car accepter une partie nécessite d’expliquer le sens de la partie nier et le sens de la partie à accepter. Tout nier ne demande pas d’explication et se suffit à lui-même.

Remise en cause de la continuité extérieure
Il se pourrait aussi que le monde ne soit qu’une image qui nous suive individuellement comme un ombre. Dès que je ferme les yeux, dès que je ne perçois plus un objet, qui peut donc m’affirmer son existence ? Quand je regarde un objet, il est là. Cela peut me suffir pour croire en son existence, mais quand je détourne les yeux, qui pourrait m’affirmer qu’il est encore là ? Peut-être que les choses n’apparaissent que par mon regard et qu’elles disparaissent aussitôt que je ne les regarde plus. Peut-être que le monde est un grand néant quand je ne suis pas là pour le regarder. Peut-être ne sort-il du néant que lorsque je le vois. On peut se demander pourquoi donc le monde se créerait-il toujours de la même façon, selon une pérennité logique. Mais cela est une autre question. La question est : qu’en est-il de l’existence d’une chose quand je ne la perçois pas ?

Remise en cause de ma propre continuité 
Qui m’affirme que ce que j’ai vécu dans mon passé est bien réel. Il se peut que tous mes souvenirs soient créés à chaque instant. Il se peut que je vive sans cesse une autre vie, mais que je ne m’en aperçoive nullement car à chaque instant tout un passé m’est livré en même temps que ma vie. Seul le présent serait réel. Je ne puis revivre le passé, Qui peut m’affirmer que l'apparente continuité de ma pensée est bien réelle ?

Remise en cause de l’unicité de ma continuité 
Il se pourrait aussi que l’impression de vivre une vie unique et continue ne soit qu’une imagination trompée. Par exemple comment pourrait-on infirmer l’hypothèse suivante : la vie serait faite de milliard de bifuracations incessantes où la réalité suivrait simultanément plusieurs chemins différents. Comme si le monde actuel donnait naissance à chaque instant à une infinité de mondes tous différents, disincts et innacessibles les uns aux autres. Comme un tronc d’arbre qui se démultiplie en plusieurs branche à l’infini. Chaque conscience humaine se divisant elle-même dans chaque monde en ayant pour chacune d'entre elles de ne vivre que la continuité d'un seul monde à la fois. Il serait impossible de s’apercevoir des bifurcations à cause de la continuité de chacune des consciences qui bifurquerait du même point. Il existerait ainsi des milliards de moi-même tous différents. Je ne serais qu’un moi-même au milieu de tant d’autres avec l’illusion de la liberté. Alors que la liberté ne serait qu'une bifurcation de moi-même. Toute les options étant pourvu par un « moi-même » différent. C’est le fait que ma conscience appartient à une bifurcation particulière qui me donne l’impression de choisir. Si en réalité tous les choix existe chacun dans leur propre monde, la liberté, l’unicité de mes choix ne serait qu’une illusion du à la particularité d’un chemin qui est au même rang que tous les autres. Dans ce cas j’envie la conscience de moi-même qui a trouvé le chemin le plus heureux, à moins que ce ne soit le mien... que pourrais-je jamais savoir sur ces bifuractions ?

Analyse
Avec de l’imagination, on peut remettre en cause une foule de choses très nombreuses, et l’imagination aura tôt fait d’en tirer une multitude de variations et d’interconnexions possibles.
Il me semble avoir remarqué que ces questions si extravagantes se posent réellement à un certain nombre de personnes. Non pas sous forme de liste comme je viens de le faire, mais sous la forme de l’un ou l’autre des scénarii. Il faut dire que les scénarii qui mettent en jeu l’existence d’une autre personnalité me semble naturellement moins fréquente que les scénarii qui se contentent de nier la réalité. Et juste pour l’anecdote, je dois dire qu’à l’âge de 10 ans, je me suis réellement posé la question, jusqu’à en être troublé, de savoir si les gens qui m’entouraient n’était pas des simulateurs dans leur rôle et que moi seul était réellement dans ma peau avec l'apparence qui m'appartient. Et ce trouble m’est revenu occasionnellement pendant plusieurs mois jusqu’à ce que je vois des enfants en bas âge acquérir les facultés de base de la communication et de la vie. Ces acquisitions m’ont semblé trop réelles, trop normales, trop en continuité avec moi, trop conforme à moi pour être simulées. Et aujourd’hui, je suis amusé de voir que c’est le bon sens qui m’a sorti à l’époque de ce trouble de logique intellectuel.
Imaginer ces innombrables situations n’est pas seulement un délire, c’est aussi philosopher, car la remise en cause logique des choses est une des démarches fondamentales de la philosophie. En cela la science-fiction philosophe souvent plus loin et se fait mieux comprendre que la philosophie elle-même. (Ce qui n’est pas philosophique, c’est cette propension à ajouter volontairement des touches d’absurdité).

Après ce délire organisé (cette démission du bon sens), que penser de la réalité ? La question suivante prend malgré tout un sens philosophique profond : qu’est-ce qui nous permet d’exclure logiquement toutes ces éventualités ? Personnellement, je ne vois pas comment la logique pourrait nous tirer de ces hypothèses (et d’encore bien d’autres). A moins d’être armé d’un solide bon sens et d’envoyer toutes ces réflexions au rang des inepties, il y a de quoi attraper un certain vertige existentiel. Et comment pourrait-on s’en échapper ? Puisque nous n’avons aucune prise à la contradiction, puisque le sentiment et le bon sens sont par ailleurs si souvent mis en défaut, comment certifier le sens naïf de notre vie ?

Au final
Résumons la situation. Après un tel exposé de question, il ne s’agit pas de répondre à chacune d’entre elle. Mais la question centrale qui à une influence profonde sur l’ensemble des questions concernant la réalité mérite d’être à nouveau posée à la fin de cet exposé : comment justifier la réalité des choses ? Il faut constater et bien constater que la réalité des choses est pour nous une évidence. Par réalité, il faut comprendre réalité qui dépasse notre perception de la chose. Comment peut-on avoir conscience de la réalité d’une chose ?
Il y a dans cette question un dilemme qui s’est établi dans la philosophie :
Ceux qui pose l’évidence de la réalité comme une base.
Et ceux qui pose le moi (la personnalité, la pensée, et même plus abstrait encore, etc …) comme la base. Le raisonnement est alors implacable : mon esprit ne peut pas percevoir le réel parce que mon esprit n’a pas de relation directe avec ce réel. Il est donc encore moins acceptable pour la logique d’imaginer l’existence d’une réalité extérieur qui surpasse la perception. Rien par la pensée ne pourra jamais nous permettre de l’établir. Il faut donc chercher la réalité à l’intérieur ou dans une transcendance particulière (une révélation, une autre nature que la nature matérielle). Et dans ce cadre, il existe plusieurs modèle de la réalité.
Le premier choix s’appelle le réalisme, le second s’appelle l’idéalisme. Faut-il croire d’abord à l’existence des choses à l’extérieur qui est manifeste. Ou faut-il croire d’abord à l’existence de notre pensée, qui est manifeste elle aussi.
La question posée comme cela, ne pose pas trop d’alternative, la seconde parait préférable si l’on s’attache à la raison.
Mais personnellement je pencherais plutôt pour la première et plus précisément pour aucune des deux je vais m’expliquer.

L’illogisme de la réalité centrée en soi
Lorsqu’on aborde la question de la réalité sur le plan de la logique, elle semble réellement insoluble. La logique s’oppose à l’évidence. En effet, il n’existe manifestement (au regard du bon sens) aucune autre information qui passe de l’objet à notre pensée en-dehors de la perception qui, elle, est incomplète. Comment donc peut-on avoir conscience d’une réalité extérieure ? Et comment établir l’existence de cette réalité dont on ne perçoit rien de réel ?
Certains y ont vu l’œuvre de Dieu qui possède en lui-même cette information (manquante) de façon immatérielle.
D’autres y ont vu une sorte de transcendance : une information qui nous parvient dans une existence extérieure au matérialisme. Ainsi laréalité ne serait pas uniquement matérielle.
D’autres y ont encore vu une évidence sans chercher de solution.
Et je passe toute les subtilités.
Dans le cadre de ma démarche, la philosophie m’a beaucoup interrogé en me posant des questions que je n’avais pas imaginé ou que je n’avais pas posé de la sorte. Ma méfiance naturelle à accepter le dogmatisme m’a servi à constater une chose : les questions elles-mêmes contiennent des dogmes plus ou moins bien dissimulés. Ainsi toute question n’est pas recevable (j’entends par là, il ne faut pas chercher à répondre à toute question pour soi). Evidemment, on peut chercher à y répondre pour l’autre. Et c’est ce que j’ai fait. J’aurais pu passer à côté de la philosophie métaphysique (encore que bien difficilement), mais j’ai préféré m’y plongé, méfiant et cherchant mes répères, en observant comment ma démarche m’y conduirait.
Une leçon de cette recherche consiste à dire que les questions elle-mêmes sont dogmatiques. Pour expliquer le sens de cette affirmation, j’en reviendrai à l’image de la trame. Si quelqu’un voit se condenser dans la trame une figure, il est normal qu’il s’interroge sur le sens de cette figure et sur sa relation avec les figures extérieures. Mais comme nous l’avons dit, il se peut très bien que certaines figures ne soient qu’apparence trompeuse d’un angle de vue. On peut alors se poser une question qui est tout simplement hors de propos en parlant des liens de cette figure trompeuse avec le reste de la trame. Il faut donc regarder si l’objet de la trame est objectivement présent ou s’il est une illusion de perspective. La question résiste-t-elle aux changements de vue. Est-ce que la démarche et non pas seulement le contenu de la question est une évidence de la trame. En effet, c’est la démarche conduisant à la question qui donne l’angle de vue. Le recul qui permet de s’interroger sur la validité des questions est bien souvent salvateur.

Si l’on en revient à la question de la réalité, les explications et les polémiques qui la concerne ne retenaient pas mon adhésion dans le sens ou même si cette logique semblait bien établie, elle ne résonnait pas justement en moi. Ayant remis en cause la logique, je me donne le droit de rejeter un raisonnement bien étayé qui ne me convainc pas. Je peux aussi essayer de chercher l’origine de mon désaccord ; ce qui n’est pas forcément toujours possible, par manque d’intelligence ou à cause de la complexité de la trame. Si je trouve le désaccord, l’incohérence pourra être discernable.
Revenons sur la question de la réalité : à mon avis l’incohérence repose dans la démarche logique choisie. La pertinence du raisonnement qui exclu la possibilité d’une réalité extérieure par l’incapacité de tout accès à l’extérieur repose sur la logique. Bien que j’ai dit que la logique ne s’applique pas à tout propos, pour être convaincant, il serait sensé de montrer une bonne raison établissant que la logique ne s’applique pas à ce propos précis. Observons cette raison :

Argument de la validité du sens des questions 
Commençons par une analogie ; le phénomène de causalité (un événement possède toujours pour cause un autre évènement) semble présent partout dans notre monde. Il est donc naturel de se poser la question de savoir si la causalité est un phénomène absolu. C’est avec ce type de raisonnement qu’en bon logicien moyen, on établit l’existence de Dieu comme cause initiale nécessaire. Parce qu'au bout de la chaîne il nous faut une cause qui n’a pas besoin de cause. Sans juger de sa valeur profonde, un tel raisonnement possède beaucoup d’échapatoires. Quand un principe est posé, ce n’est pas une nécessité de l’accomoder à toutes les sauces. Pourquoi la causalité devrait-elle trouver une finalité ? Une question ne mérite pas toujours qu’on y réponde. Car avant de répondre à la question « pourquoi une cause initiale est nécessaire », il faudrait que la question ait un sens. C’est dans cette perspective que je voudrais m’évertuer à montrer que pour moi la question de la réalité extérieure inaccessible n’a pas de sens. En effet, au lieu de prendre la logique comme une réalité supérieure, je me place sur l’aspect beaucoup plus prosaïque de l’homme qui pose la question. J’ai déjà dit que la logique était inscrite dans la nature, et que son acquisition vient du phénomène de perception et d’intelligence qui nous permet d’acquérir, de synthétiser et d’anticiper les principe de la nature dont la logique fait partie. Si donc on se place dans la situation d’un homme, on conçoit très facilement qu’il est impossible de poser une telle question sans posséder beaucoup de choses :
le langage qui lui permet de s’exprimer
le bon sens qui lui permet de comprendre ce qu’il dit
une certaine intelligence pour atteindre le niveau de la question posé (inaccessible aux jeunes enfants)
un corps qui lui permet de l’expirmer
sans parler d’un père une mère, de l’air, la terre, l’humanité, etc… qui permettent la vie

Je veux dire par là qu’on ne peut absolument pas poser une question complexe de logique comme celles que nous abordons sans avoir le bagage d’un homme accompli.
L’homme naît avec tous ces bagages que nous lui connaissons. Il est enfant puis adulte. Si le jeune enfant ne comprendra pas la réflexion que nous sommes en train de nous faire, il comprendra pourtant la réalité extérieure.
Et nous-même, pouvons-nous dire ce que nous percevons le mieux, ce dont nous cernons le mieux les contours parmi ces deux choses : « le phénomène de causalité » ou « la pomme que nous sommes en train de manger » ? Est-il alors sensé de croire que la causalité, que la logique sont des phénomènes universels plus valides que la matière ? Autrement dit peut-on se fier davantage à la perception de la logique qu’à la perception de la matière ?
Est-il sensé d’établir le doute sur l’existence des choses, alors que nous en savons encore moins, et en tout cas pas mieux, sur ce que sont le doute et la raison.
On me rétorquera : « mais ce n’est pas la logique, ni la causalité en général qu’il nous faut juger, la question qui nous préoccupe est l’existence de la réalité extérieure ». Seulement, la question qui nous préoccupe est façonnée sur la logique, sur la causalité, sur le « pourquoi ?», et c’est dans cette démarche que se produit la contradiction. C’est pourquoi j’ai voulu élargir le débat, mais je vais me préoccuper maintenant du problème qui est plus précisément le nôtre. Que signifie inaccessibilté de la réalité extérieure lorsque que je considère que la réalité extérieure est ce que je perçois ? Il n’est pas du tout évident de remettre en cause la perception naturelle par un amas de phrases de raisonnement et de logique qui n’ont pas nécessairement beaucoup de sens.

Argument de la non-prééminence de la logique
Est-il juste d’établir la prééminence de notre pensée logique sur les choses que nous percevons? Il arrivera que oui, si par exemple la raison me montre que ma perception se trompe.
Mais il ne s’agit pas là d’un détail de prééminence, il s’agit de l’argument qui fonde la perception de la réalité extérieure. Pourquoi ma perception me tromperait, alors que tout m’affirme naturellement la réalité des choses ?
Quand on regarde un homme qui ne s’est pas intéressé à ce genre de question, demandons-nous s’il est réellement capable de donner raison à cette pensée logique qui rejette l’existence extérieure plutôt que la validité naturelle de l’existence des choses qu’il manipule. Et nous-même quand nous sommes absorbés dans un travail manuel, la réalité extérieure ne nous a-t-elle pas saisi ?
Il est vrai que tout passe nécessairement par la pensée. Mais il n’est pas vrai que la conscience de la pensée est prééminente sur la conscience des choses. Pourquoi donc accorder la prééminence de l’existence à notre pensée plus qu’à la matière ? Je ne parle pas seulement dans une perspective de l’histoire d’un homme, mais je parle dans le bon sens humain du quotidien. Ne semble-t-il pas clair que la conscience des choses nous vient avant leur doute, et même probablement avant la conscience de nous-même…? (cela dépend de la définition qu‘on en donne).

Argument de la réalité de la pensée en question
Faut-il ajouter qu’en toute logique notre esprit pourrait être tout autant une illusion que la matière ? On pourrait très bien imaginer que la matière soit réelle et que notre esprit est une illusion. La matière serait réelle en ce qu’elle produit une illusion, et la pensée illusion en ce qu’il n’existe rien d’autre que la matière. (Ce pourrait être par exemple la philosophie d’un matérialiste pur et dur : la pensée n’est qu’un produit hasardeux de la matière. Il suffit d’ajouter à cela le déterminisme qui fixe les pensées de façon implacable par une causalité inflexible dans le temps. La pensée n’est alors qu’une illusion de penser en ce qu’elle ne nous est pas propre.)
Qui nous garantit que nous sommes ce qu’il nous semble que nous sommes ? Qui nous garantit que notre pensée est telle qu’on y pense ? Qui nous garantit que la réalité de la pensée est perçue par la pensée ? Peut-être que ce que nous percevons n’est qu’une illusion d’une autre chose bien différente. Peut-être la pensée, c’est à dire la chose qui est à l’origine de la pensée est d’une nature très extérieure à la pensée elle-même ; bien plus grande ou bien plus insignifiante. Pourquoi donc considérer notre pensée avant le reste. Le fait que tout passe par nous, n’est pas une garantie, car rien ne nous prouve que notre pensée est elle-même telle qu’elle nous apparaît.

Argument de l’ignorance de la pensée
Je tiens à montrer que nous ne savons même pas ce qu’est la pensée telle que nous pensons la connaitre. En effet quand nous pensons, nous pensons toujours à quelque chose. Même quand nous pensons que nous pensons, nous pensons toujours à un « quelque chose » en l’occurrence que nous pensons. Si cela se voit bien dans le modèle que j’ai établi, le constat reste indépendant de ce modèle et me semble tout à fait acceptable par le bon sens. Il n’y a donc aucun bon sens à  l’acte de « purement penser », car le fait de penser s’applique systématiquement à un contenu, à un « quelque chose ». Que signifie donc « penser » (out simplement) en-dehors de « penser à une chose quelconque» ? Cela peut nous suggérer que le fait de penser est un réel mystère que nous ne connaissons même pas. Non que je partage cette conclusion, mais son acceptation est tout aussi valide que le refus de la matière. Si on raccorde cela à la conscience sémantique, l’idée d’une réelle pensée inaccessible prend tout son sens. Au vu de cette réflexion, peut-on s’appuyer sur le principe de la pensée comme principe premier ? La pensée est un vrai mystère. Nous n’en connaissons que son exercice, ce qu’il nous est donné de voir.
Argument de l’inaccessibilité du sens de la pensée
Il se trouve ensuite que le mécanisme même de la pensée qui nous permet de penser la démonstration (de l’inaccessibilité de la réalité) n’est pas connu. Même dans le cadre de notre modèle de la pensée, il est impossible de percevoir l’échaffaudage des cellules qui construisent un tel raisonnement. Une telle pensée est si hautement élaborée, et contruit sur des concepts si abstraits, (entretenant je ne sais quel rapport avec la psychologie de haut niveau) que notre méconnaissance nous rend bien incapable de donner un sens bien logique à l’articulation de cette pensée . D’où vient-elle ? Comment est-elle conçue ? Quels sont ses rapports avec tous les centres du système de la pensée, pour en déterminer la nature psychologique ? Répondre à ces questions nous est complètement impossible. Comment donc accorder un crédit à une telle pensée ? Il est vrai qu’on peut choisir de dire que c’est un mystère de base qu’on ne peut élucider. Mais à cela je rétorquerai : c’est trop facile, car la pensée elle-même réagit selon une certaine logique. Et donc cela peut-être étudié, et tant que nous ne connaissons pas les mécanismes logiques de la pensée de façon précises, il n’est pas acceptable pour la démarche logique de poser gratuitement l’un ou l’autre des concepts comme une réalité de base. Il est vrai que même si le modèle est matériel ou purement mental, la logique s’y applique de l’intérieure. Il est vrai que nous sommes très loin, et même peut-être incapable, de connaître le mécanisme logique de notre pensée. Mais est-ce une raison suffisante pour lui donner le caractère primordial ? Je pense que cela n’est pas satisfaisant dans une démarche logique qui se doit toujours de dire « pourquoi ? ».

Argument de la méconnaissance de la question
Notre méconnaissance de la pensée ne s’arrête pas là. Dans la situation qui nous occupe à savoir le raisonnement qui nous montre que la réalité extérieure est impossible, il se trouve encore une chose que nous ne connaissons pas bien ; ce sont les concepts que nous manipulons. Il est vrai qu’il est possible de définir de façon toujours plus précise n’importe quelle phrase, mais il y a dans la question plusieurs concepts que nous ne connaissons même pas. Pour n'en citer que quelques uns : le concept d’intérieur (ou pensée, ou esprit, ou réflexion, etc…). Nous avons montré que ce concept nous était relativement inconnu. Il y a ensuite le concept de réalité extérieure ; même si l’on comprend que cette réalité est plus vaste que ce que nous pouvons percevoir d’un objet, peut-on dire vraiment dire ce qu’est cette réalité autrement que « quelque chose qui désigne l’objet dans sa totalité ». Mais alors qu’est-ce que la totalité de l'objet, et ainsi : qu’est-ce que sa réalité. La réalité extérieur est donc un concept que nous pouvons définir uniquement comme une vue de l’esprit.
Si donc on la désignait comme une réalité réellement extérieure, il faudrait supposer son existence de fait, et cela ne nous dit toujours pas ce qu'elle est ; sinon une sorte de mystère qui en plus d’être imprécis est difficilement acceptable par le bon sens. Sans entrer dans le détail, ce concept que certains appelent la « réalité en soi », restera toujours très mystérieux. Savons-nous de quoi nous parlons, si même cette « chose » existe. En conclusion, on manipule des notions dont le sens purement mental, fait allusion à des réalités que nous ne connaissons pas en précision. Est-il sensé d’accepter un tel raisonnement comme un bon sens ? Les concepts contenus dans ce raisonnement sont susceptibles eux-mêmes d’être refusés par le bon sens. Comment accepter alors la globalité du raisonnement.
Quand je dis « la réalité que je manipule existe bel et bien », je n’ai pas l’impression de parler d'une réalité limité à l’intérieur, mais je n'ai pas non plus l'impression de parler d'une réalité d'un quelconque « en soi » à l’extérieur.

Argument du problème de la primauté
Dans toute démarche qui débute, il faut faire un premier pas. Il se trouve qu’en philosophie, il est fréquent de faire le premier en choisissant un principe premier. C’est cela que j’appelle une base de la métaphysique. Sans entrer dans les détails, il est d’ailleurs fréquent de choisir une base concrête pour commencer à raisonner (un contenu) et une base abstraite (une démarche) qui est souvent la logique augmentée de quelque principes bien spécifiques. Refuser l’existence de la réalité extérieure, c’est poser la pensée comme base de la métaphysique (ou de la philosophie de l’existence, selon qu’on suppose une existence métaphysique ou non). Il est vrai que tout passe par la pensée. Mais le fait que quelque chose soit indispensable est-il suffisant pour le poser comme base ? L’air, le corps, la terre, l’univers, la matière, le langage, etc… tant de choses indispensables peuvent être (et ont été) posées comme base de la philosophie de l’existence.
Est-ce bien raisonnable de poser un principe et ensuite d’étudier les autres en prenant celui là comme base ? Tous sont interdépendants. Le sens des choses ne vient pas initialement du choix d’un principe, il nous est donné avec la vie. Les principes se découvrent après. Commencer par un principe, c’est aussitôt prêter le flan à la faiblesse logique par le fait que celui là n’existe que par l’existence des autres, à moins de le décréter gratuitement en-dehors toute évidence.
Qui serait assez convaincu en lui même de dire que sa pensée est indépendante de tout autre principe ? Le fait même d’exprimer ma pensée par des mots, montre comme elle est liée à la matière. Si elle était indépendante, pourrait-elle s’exprimer de la sorte ? L’existence du sens des pensées tellement lié à la perception ne rend-il pas superflu l’invention d’une réalité parrallèle à l’extérieure qui nous y donne accès ? Si je choisis l’indépendance de la pensée comme principe je dois le décréter dogmatiquement. Car la pensée semble en étroite conivence avec la perception. Je ne donne pas ici la preuve de matérialité de la pensée, mais je montre que le constat d’indépendance ne peut être prouvé; par le simple fait que nous sommes tous dans un corps pour parler, Dans ce cas, comment peut-on parler de la pensée sans le corps ? Ainsi avec des considérations purement pratique, parler de la pensée sans la matière n’est pas une évidence du bon sens. Si la tentation est forte de considérer la pensée comme ayant quelque chose de plus que la matière, il semble difficile de la rendre indépendante de la matière. Aucune évidence du bon sens ne peut le montrer, seul un sentiment très subjectif.
Ainsi, il me semble que le seul point de départ si on veut être sensé, c’est prendre le tout comme il nous est donné de le trouver en entrant et en évoluant dans la vie. Pour la vie que je mène, telle que je la mène, il me faut tout ce que j’ai. Prendre la pensée comme base première est un choix purement subjectif. Je ne pense pas qu’il soit intéressant de poser une base à partir de laquelle raisonner. En regardant l’histoire de la philosophie, il me semble que tellement de raisonnements commencent par « qui est le plus grand » ou même par une affirmation « voici le plus grand » . Et pour commencer un système philosophique, si on prenait les choses comme elles viennent, sans vouloir se faire le juge du monde ? En se contentant d’être notre propre juge, il y aurait assez à faire (Mais que suis-je en train de faire ! Je viens de redécouvrir que je suis aussi un philosophe…)
Je suis jeté dans la vie, je m’éveille doucement pour m’apercevoir que la vie est immensément vaste, immensément complexe. Je découvre, je trébuche, je passe l’obstacle et je découvre toute cette trame gigantesque dont j’occupe un si petit morceau. Ce que je suis pour moi, est-ce claire ? Peu de choses le sont moins dans la profondeur. Je prends la vie comme elle m’est donnée.
Je rejette ma propre primauté. Pourquoi me poserai-je moi-même comme base première de ma vie ? La vie ne m’est pas donnée en ayant conscience de moi seulement, ni même en premier. Il est vrai que je pense beaucoup en fonction de moi, et que ma part est importante et inextricable, mais je réalise que me poser en primauté absolu ou en base première pour expliquer ma vie me conduit dans un terrain flou, hors du bon sens. S’il faut établir un premier, je ne saurais même pas quoi choisir : moi, les autres, la matière. Tout ce qui m’entoure m’est donné avec ma vie, et ma vie c’est tout cela, ce n’est pas « d’abord moi ». Non la pensée ne me semble pas un choix de primauté indiscutable.

Nous avons vu que le principe « penser » comme fiabilité première est discutable vu son inaccessibilité ou sa méconnaissance (selon le point de vue). Le mécanisme de la pensée lui aussi est méconnu, puis le contenu de la réflexion qui nous importe est elle-même difficile. En conclusion, peut-on se fier à un raisonnement qui rejette la réalité extérieure, alors que la simplicité du bon sens nous accrédite la réalité extérieure sans autre ombre ? Comment peut-on venir à se confier en une logique si éloignée du bon sens qui n’a comme cohérence que le doute de la logique appuyer sur des bases dogmatique pour s’opposer à la force puissante d’un bon sens bien établi.

Michaël Klopfenstein © 2007



La trame une image de la réalité.


Un regard philosophique sur Les mathématiques


La Science est recherche de la réalité objective partageable.

Le sens est le ressenti instantanné d'un tissu organisé de concepts formant une unité cohérente liée à la totalité de nos aquisitions (qui sont pour chacun un autre sens).